Dimension TRASH par Sébastien

Une belle critique de l'anthologie.


Nostalgie, nostalgie. Impossible d'évoquer les années 80 sans avoir un souvenir ému pour la mythique collection Gore.

A une époque où l'horreur moderne commençait à peine à rentrer dans les mœurs, voilà que Fleuve Noir jetait un sacré pavé dans la mare éditoriale française, inondant les librairies et les stations-services de livres de poches bon marchés, ornés de couvertures répugnantes (et d'un logo baveux reconnaissable entre tous) qui, à raison de deux titres par mois, firent les plaisirs coupables des lycéens qui se les échangeaient en cachette entre deux VHS de Zombie ou de Cannibal holocaust.

En marge du succès plus mainstream d'un Stephen King, Gore revendiquait fièrement l'amour du sang et de la tripe à l'air, au grand dam des parents d'élèves et de la critique, fustigeant le mauvais goût assumé des contenus autant que les mises en formes (mauvaises traductions, manuscrits parfois mutilés...), griefs souvent justifiés, il faut bien le dire. Considérée par certains amateurs eux-même comme le fond du panier, la création de  Daniel Riche fit néanmoins son petit bonhomme de chemin, avec plus d'une centaine de titres entre avril 1985 et juillet 1990, date à laquelle le public s'en détourna définitivement pour lui préférer une forme de fantastique plus respectable.

L'horreur, on le sait par bien des exemples, n'a jamais marché en France. C'est donc dans ce vide sidéral que la défunte Gore s'est imposée avec le temps et presque par défaut comme l'une des tentatives les plus marquantes dans le genre, donnant une (relative) notoriété à des auteurs bien de chez nous comme Corsélien, Joël Houssin, Michel Honaker et bien d'autres. On commençait à peine à déceler une authentique spécificité nationale, détachée peu à peu du modèle dominant anglo-saxon, et qui citait Simenon, Bataille, Céline ou Sade comme modèles à suivre. Restait que, privés de la maison-mère, on était en peine d'intégrer à un courant fort tous ces créateurs marginaux, désormais dispersés aux quatre vents ou sombrant dans l'oubli.

La création de Trash éditions en juin 2013 est venue combler un manque. Reprenant les affaires là où Gore les avait laissées, cette nouvelle et incroyable collection en radicalise la démarche. Même logo, même format, même cahier des charges mais pour une qualité bien supérieure, à la fois dans la forme et dans le fond, même si le but reste identique : faire vomir le lecteur à coups de romans infects pulvérisant tous les tabous en matière de bienséance. Sauf que depuis les années 80, la donne a changée. Les nouveaux auteurs ne donnent plus dans l'approximation mais ruent dans les brancards, abordant des thèmes jusque-là inédits et surtout déployant des audaces stylistiques que leurs prédécesseurs étaient loin d'atteindre. Trash éditions est ainsi devenu en à peine deux ans un laboratoire expérimental passionnant où se concocte une littérature monstrueuse et mutante, parfois fort éloignée des simples bouquins de gare d'autrefois.

 Et quelle meilleure entrée en la matière que cette superbe anthologie Dimension Trash. Publiée chez les amis de Rivière Blanche, transfuge de Fleuve Noir comme le nom l'indique, elle représente un panel exhaustif de l'écurie actuelle, présentant plus d'une vingtaine de nouvelles et autant d'auteurs. On y retrouve quelques vétérans de Gore comme Gilles Bergal, François Darnaudet, Charles Nécrorian, Patrice Lamare ou Christian Vilà et surtout pas mal de nouveaux, dissimulés derrière des pseudonymes pas possibles et dont certains précédents romans ont déjà marqués les esprits : Julien Heylbroeck (à qui l'on doit le fabuleux Pestilence), Zaroff (Night stalker) et même un certain Adolf Marx (Ha ha !) qui sous le nom de Janus avait livré avec Lumpen une des meilleures sorties de la collection. Alors, bien sûr, ces messieurs-dames ne donnent pas dans la dentelle. Ici, c'est viols de cadavres, dégustations de cerveaux et de viscères, supplices divers et variés, putréfactions et explosions d'organes décrites avec force détails chirurgicaux, le tout recouvert d'une couche bien épaisse de sexe déviant et de pornographie dégueulasse. Pas forcément le cadeau idéal pour la Saint-Valentin ou la fête des mères, donc. Mais ce qui frappe, c'est l'extraordinaire diversité des textes proposés, à la fois dans les tons et les genres : science-fiction, récit historique, hommage au cinéma bis, polar urbain, chronique sociale, littérature expérimentale post-Burroughs... Chaque plume apporte sa couleur particulière, avec parfois des moments de virtuosité confondants. En témoigne notre coup de cœur personnel : White trash, nouvelle signée Artikel Unbekannt & Schweinhund, sorte de foire aux atrocités ballardienne à la limite de l'abstraction, qui démontre si besoin était que le genre peut aller BEAUCOUP plus loin que le formatage actuel ne le laisse soupçonner. D'une manière générale, on peut trouver ici deux courants, l'un privilégiant une approche ludique et très série B (avec ici le savoureux hommage Killing Joe D'Amato signé Robert Darvel), l'autre au contraire une démarche réaliste et teintée de critique sociale (Christophe Siébert avec La vieille). A chacun d'y trouver son compte dans cet éventail qui dévoile, mine de rien, tout un pan insoupçonné de la fiction française. A ceux qui, depuis des années, cherchent en vain le Graal horrifique version camembert, on ne saurait trop recommander cette anthologie miraculeuse. Quant à ceux qui, tout simplement, s'ennuient à mourir devant la platitude et la morosité de nos consternantes rentrées littéraires, nous leur conseillons d'entrer, à leurs risques et périls, dans ces pages de chair et de sang. Ne cherchez pas plus loin : le meilleur est là.

Sébastien

Et le lien qui va bien : http://superflux-webzine.fr/lire/dimension-trash

 

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