Thanatéros - extrait 2

Un deuxième extrait. Cette fois-ci, pris dans le deuxième roman faisant partie de Thanatéros. Le début du livre 2 : Yin et yang.


Livre deux : Yin et yang

 

CHAPITRE PREMIER

 

Quel jour ? Jeudi ou vendredi ? Pitié ! Faites qu'on ne soit pas vendredi !

Mais quelle importance, l'un ou l'autre. Le vendredi finissait toujours par arriver. Immuable, malgré toute la volonté que mettait Anita à le repousser.

Le soleil doit être bas sur l'horizon. Ses rayons ne passent plus le soupirail. Seule une ampoule à la clarté crue éclaire la pièce. Anita aimerait pouvoir l'éteindre, mais l'interrupteur est hors de sa portée.

Comme la vie. Comme tout.

La jeune femme tourne la tête vers la porte, elle n'est même plus inquiète. Bientôt, elle entendra la clé tourner dans la serrure. Son corps lui semble réglé telle une horloge au tic-tac-sentence. Les secondes, minutes, heures s'écoulent de façon monotone et ne servent plus qu’à ponctuer les rituels réguliers. Le petit déjeuner, tôt le matin, le dîner, tard le soir. Entre les deux, rien. Juste le temps qui passe, juste les pensées qui tournent. Et chaque fois, avant de manger, se soumettre. Pour vivre, même si elle ne le veut plus. Là-dessus non plus, elle n'a pas prise.

Depuis quand ? Un mois peut-être. Je n'en suis pas sûre. C'était un mardi soir, une certitude au moins. Pourquoi suis-je rentrée par ce foutu raccourci ? Pourquoi ?

Juste pour faire la maline.

Tais-toi ! Je voulais seulement gagner un peu de temps pour voir le film.

Et rabattre son caquet à l'imbécile. Tu sais, Julien.

Julien ! Le si beau Julien ! Le tellement insupportable Julien ! C'est vrai que c'est lui qui m'a mise au défi. Et j'ai foncé. Comme d'habitude. Même pas peur ! Et je suis là. À attendre, je ne sais plus quoi. On est quel jour ? Pas vendredi. Je ne veux pas qu'on soit vendredi. Il faut que je réfléchisse. Combien de jours depuis vendredi dernier ? Six, au moins. Ou sept. Il a plu dimanche. Mais ensuite ? Je ne sais plus… Pourquoi je lui ai répondu ? Une pharmacie. Tout ça pour une pharmacie !

Tout ça parce que tu es idiote.

Oui, aussi. Tu as raison. Mais que voulais-tu que je fasse ?

Le bébé était si mignon sur son siège à l'arrière. Où est-il, ce bébé ? Je ne l'ai jamais entendu. Il est peut-être…

Le bruit des pas ramène Anita au présent. Elle se crispe un peu, serre les dents.

Pas vendredi ! Pas vendredi !

La clé qui tourne. L'homme qui entre. Et l'autre. Les yeux bandés, la bouche bâillonnée. C'est vendredi. Hélas !

La jeune femme reste assise au bord de son lit de béton. Pas un mouvement dans ses membres crispés. Son geôlier ne la regarde pas et se contente de pousser devant lui le clochard destiné à ses jeux hebdomadaires. Un pauvre hère, sans âge, comme souvent dans cette catégorie de population. Une barbe hirsute lui mange le visage. Il pue et sa peau crasseuse frémit sous les coups du tortionnaire.

Anita a les yeux fixés sur le couple imprévu. Elle aimerait fermer ses paupières, mais elle ne peut pas. Elle forme le public de la pièce macabre qui va se jouer. En détourner le regard équivaut à une punition. Comme la première fois.

Ligotée avec de la corde rêche et épaisse. Serrée si fort. Elle en a encore des marques. Ses jambes et ses bras qui s'engourdissent, sa respiration presque impossible. Et lui qui la brûle avec un cigare, encore et encore. Elle a cru mourir, elle ne le voulait pas encore. Mais la mort lui est interdite. Elle est le public. Pour elle, juste la douleur.

Et le spectacle.

Le bourreau installe sa nouvelle victime sur la table en bois rustique. Du matériel solide, maculé de taches sombres. Une odeur âcre s'en dégage en permanence, surtout dans les heures qui suivent la séance. Des anneaux de métal immobilisent poignets et chevilles. Deux autres enceignent le ventre et la gorge. Le malheureux peut à peine bouger.

Où a-t-il trouvé un objet pareil ? Sur une brocante peut-être… quoique, ça m'étonnerait, on ne vend pas ce genre de trucs n'importe où. Peut-être qu'on se trouve dans un vieux château et qu'elle faisait partie du mobilier. On doit être dans une ancienne salle de torture. Ou peut-être l'a-t-il faite fabriquer selon ses goûts… les goûts bizarres de mon homme en noir. Chacun ses goûts, c'est maman qui le disait. Je suis bien d'accord. Moi, j'aime me promener dans les forêts ensoleillées. Et le vent me chatouille. Je cours dans les herbes et les fleurs. Il fait doux, je suis bien…

Un cri la sort de ses pensées. C'est encore raté. La semaine, lorsqu'il s'amuse avec elle, elle y arrive pourtant. Elle le laisse faire et s'évade. Mais jamais le vendredi. Les hurlements l'atteignent et elle assiste malgré elle à la séance.

Les travaux n'ont pourtant pas commencé. Travaux est le terme qui avait fini par s'imposer de lui-même. Le psychopathe opère minutieusement, avec des gestes posés, presque chirurgicaux, sans un mot, sans un sourire. Son visage est en permanence fermé, inexpressif. Impossible de savoir ce qu'il pense ou ressent. Aucune joie, aucune colère, aucune jouissance. Des traits vides. Des yeux vides. Un cœur vide. Une enveloppe charnelle sans âme.

Le tortionnaire a son habituel cigare. Il ne fume pas, se contente de le garder allumé, rougeoyant. Puis il l'applique sur la peau. C'est le signal du début des festivités, le lever de rideau. Malgré les plaintes de douleur du supplicié, Anita entend le grésillement. L'odeur de cochon brûlé s'infiltre dans ses narines. Elle essaie de respirer le moins possible, mais ses poumons refusent d'obéir et les effluves la remplissent.

Les traces rondes et rouges se multiplient, couvrent de plus en plus de surface. L'homme semble ne pas se lasser. Mais il va se lasser. La victime ne sait pas encore que le pire reste à venir, au contraire d'Anita.

 

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